Changements climatiques : Quels impacts sur les lémuriens de Madagascar ?

Changements climatiques : Quels impacts sur les lémuriens de Madagascar ?

Tojonirina Patrick Rafalimanana

Cheirogaleus shethi, Patrick Rafalimanana

Les lémuriens, endémiques à Madagascar, sont particulièrement vulnérables aux impacts du changement climatique en raison de leur dépendance vis-à-vis des forêts tropicales et de leurs régimes alimentaires spécialisés. Avec 112 espèces connues, elles sont déjà menacées par la perte d’habitat provoquée par la déforestation pour l’agriculture, l’exploitation forestière et le charbonnage (Mittermeier et al., 2023). Le changement climatique exacerbe ces pressions par des modifications des écosystèmes, des perturbations de la végétation et des régimes de pluies, influençant directement et indirectement les populations de lémuriens.

1. Changement des régimes de précipitation et de températures

Les modèles climatiques prévoient que les températures de Madagascar augmenteront, avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et une variabilité accrue des précipitations (Randriamarolaza et al., 2021). Les espèces de lémuriens, qui vivent aux dépens des forêts, sont menacées par cette fluctuation des précipitations, qui impacte directement la disponibilité en nourriture. Les périodes de sécheresse peuvent réduire la croissance de fruits et de feuilles, entraînant une pénurie de nourriture qui affecte la nutrition et la survie des lémuriens (Dunham et al., 2018).

Par ailleurs, la température plus élevée pourrait perturber les cycles reproductifs et altérer la physiologie des lémuriens. Par exemple, certaines espèces de lémuriens hibernent ou entrent en torpeur pour économiser l’énergie pendant les périodes de faible disponibilité alimentaire, comme le font les cheirogales (Cheirogaleus spp.) (Mittermeier et al., 2023). Cependant, une augmentation des températures pourrait perturber ce comportement adaptatif, réduisant ainsi leurs chances de survie.

2. Perte d’habitat et fragmentation

Le changement climatique intensifie les effets de la déforestation, augmentant notamment le dégât causé par les fortes pluies ou des cyclones, ou de même le risque de feux de forêt qui détruisent les habitats naturels des lémuriens. Les espèces sensibles à des écosystèmes spécifiques, comme le Vari (Varecia spp.) sont ainsi exposées à des pertes d’habitat critiques. La fragmentation des forêts crée également des îlots d’habitats isolés, limitant les mouvements des populations de lémuriens et rendant difficile la recherche de nourriture et de partenaires pour la reproduction (Morelli et al., 2020). L’isolement des populations peut mener à un appauvrissement génétique, diminuant la résilience des espèces face aux nouvelles maladies ou aux stress environnementaux.

Glissement de terrain dans le Parc National d’Andohahela après le passage du Cyclone Batsirai, Patrick Rafalimanana

3. Écologie alimentaire

Les lémuriens sont des consommateurs spécialisés de fruits, de feuilles, et parfois de nectar ou de gomme ce qui les rend sensibles aux changements dans la composition des forêts causés par le changement climatique. Avec la disparition de certaines plantes ou formations végétales à un endroit spécifique, certaines espèces de lémuriens pourraient perdre une partie importante de leur régime alimentaire. Par exemple, les lémuriens bambous (Hapalemur spp. et Prolemur simus) dépend étroitement du bambou, qui peut être affecté par le stress hydrique et les changements de température (Mittermeier et al., 2023).

4. Impact sur la survie des espèces sensibles au climat :

Les lémuriens de petite taille, comme le microcèbe gris, sont particulièrement vulnérables aux variations climatiques, notamment aux changements de précipitations et aux hausses de température saisonnières. Ces variations altèrent leur cycle de vie et augmentent leur risque d’extinction en raison de la réduction de leurs ressources et de leur capacité à se reproduire. Ces effets sont observés dans la population du microcèbe, où une baisse des précipitations et des périodes de chaleur prolongées augmente le stress physiologique et perturbent la dynamique de reproduction, ce qui menace la stabilité de l’espèce (Ozgul et al. 2023).

Microcebus tavaratra, Patrick Rafalimanana)

5. Augmentation des infections parasitaires :

Le réchauffement climatique et les modifications de l’humidité favorisent l’expansion des parasites. Une étude a révélé que les parasites les plus dangereux pour les lémuriens pourraient s’étendre dans de nouvelles régions de Madagascar, exposant ainsi les lémuriens à des maladies pour lesquelles ils ne sont pas immunisés. Cette propagation pourrait entraîner des déclins de population en affectant directement leur santé, en diminuant leur survie et en compliquant les efforts de réintroduction et de protection (Barrett et al., 2013).

Conclusion

En conclusion, le changement climatique exacerbe les pressions sur les lémuriens de plusieurs façons, notamment en augmentant les maladies parasitaires, en réduisant leur habitat et en intensifiant les phénomènes météorologiques extrêmes. Ces défis soulignent l’importance cruciale de renforcer les efforts de conservation pour protéger les lémuriens et les écosystèmes de Madagascar, en intégrant des stratégies pour atténuer les effets du changement climatique et préserver les zones forestières restantes.

Il est essentiel de prioriser la protection et la restauration des forêts, de créer des corridors écologiques, et de promouvoir une gestion durable des écosystèmes. La réduction des émissions locales de carbone, la surveillance des espèces, et la prévention des maladies émergentes sont aussi cruciales. En impliquant les communautés locales dans des initiatives comme l’écotourisme, ces efforts de conservation peuvent être renforcés pour mieux protéger les lémuriens et leurs habitats naturels.

Références citées

Barrett, M. A., Brown, J. L., Junge, R., Yoder, A. 2013. Climate Change, Predictive Modeling and Lemur Health: Assessing Impacts of Changing Climate on Health and Conservation in Madagascar. Biological Conservation, 157: 409-422. 10.1016/j.biocon.2012.09.003.

Dunham, A., Razafindratsima, O., Rakotonirina, P. & Wright, P. 2018. Fruiting phenology is linked to rainfall variability in a tropical rain forest.Biotropica, 50. 10.1111/btp.12564.

Morelli, T. L., Smith, A. B., Mancini, A., Balko, E. A., Borgerson, C. et al. 2020. The fate of Madagascar’s rainforest habitat. Nature Climate Change, 10: 1-8. 10.1038/s41558-019-0647-x.

Mittermeier, R. A., Reuter, K. E., Rylands, A. B., Louis Jr., E. E., Ratsimbazafy, J., et al.  2023. Lemurs of Madagascar : fifth edition. Lynx Edicions, Barcelona.

Ozgul, A., Fichtel, C., Paniw, M. & Kappeler, P. 2023. Destabilizing effect of climate change on the persistence of a short-lived primate. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 120. e2214244120. 10.1073/pnas.2214244120.

Randriamarolaza, L., Aguilar, E., Skrynyk, VicenteSerrano, S., & DomínguezCastro, F. 2021. Indices for daily temperature and precipitation in Madagascar, based on quality‐controlled and homogenized data, 1950-2018. International Journal of Climatology, 42 : 265-288.

« Cet article est protégé par les droits d’auteur; toute reproduction ou utilisation, totale ou partielle, sans autorisation préalable de l’auteur est strictement interdite. »