Le manque d’accès à l’eau potable aggrave-t-il les inégalités menstruelles et impacte-t-il la santé des femmes ?

Le manque d’accès à l’eau potable aggrave-t-il les inégalités menstruelles et impacte-t-il la santé des femmes ?

Auteure : AHMED AFFANDI Ramanantenasoa Cheriza,

01 Avril 2025

Source : https://tinyurl.com/4hzhz495

Introduction

Paru en 2022, le film d’animation « Alerte Rouge 1 » a été vivement salué par la critique pour son audace et globalement apprécié par le public pour son authenticité et sa représentativité. La raison : le film aborde les tabous autour de l’adolescence, comme par exemple celui des règles, sujet encore rarement traité dans les productions destinées au grand public. La réaction autour de cet effort d’inclusivité témoigne tristement du rapport encore méfiant, voire complètement sourd, des sociétés par rapport aux menstruations, et ce, même dans les pays dits développés. En France par exemple, on peut encore entendre en société des expressions telles que « t’as tes règles ou quoi ? », fameuses pour faire ressentir une discrimination aux personnes menstruées, preuve que le chemin est encore long pour lutter contre le tabou des règles.

Dans les pays en développement, la situation est parfois pire. Ne fut-ce que pour parler de la gestion des menstruations, la sensibilisation et la discussion sont insuffisantes, ne permettant pas d’assurer une expérience menstruelle digne et sécurisée pour tou.te.s. De plus, dans un contexte climatique aux effets dévastateurs sur la disponibilité en eau, cet élément vient s’ajouter aux facteurs de fragilité de la santé menstruelle, et plus largement reproductive et sexuelle.

Toutefois, le manque d’eau, conséquence du changement climatique, suscite le scepticisme chez certaines personnes quant à son rôle dans les inégalités menstruelles, certains y voyant un procédé pour féminiser la cause climatique. Or, les femmes ne sont pas les seules à souffrir du manque d’eau. Ainsi, discuter de son rôle dans la fragilisation de la santé menstruelle est perçu comme une manière de détourner l’attention des enjeux écologiques généraux.

De ce fait, et dans le but de faire la lumière sur ces spéculations, cet essai se propose de répondre à la question suivante : pourquoi le manque d’eau est-il un facteur aggravant des inégalités menstruelles ?

Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps l’importance cruciale de l’eau pour une gestion menstruelle digne. Nous discuterons ensuite des conséquences disproportionnées et ciblées du manque d’eau sur les personnes menstruées. Enfin, nous étudierons les initiatives existantes et les inégalités persistantes avant de conclure notre réflexion.

Développement

L’eau, un besoin fondamental pour une gestion menstruelle digne

« L’eau est le sang de la Terre, le support de toute une vie. »
L’importance de l’eau pour la vie sur Terre est évidente : qu’elle serve à l’hydratation, à la préservation de l’environnement, aux activités humaines ou au bon fonctionnement du corps, son absence peut rapidement devenir dangereuse. La consommation d’eau influence les fonctions neurologiques, rénales et gastro-intestinales ainsi que le poids, la composition corporelle et la santé en général. Un article publié par le Centre de Recherche et d’Information Nutritionnelles (CERIN) avance qu’une déshydratation supérieure à 2 % du poids corporel chez l’adulte a des effets délétères sur les performances cognitives, en particulier sur les tâches requérant de l’attention, et est également associée à une fatigue accrue. Ainsi, la consommation d’eau n’est pas qu’un simple besoin, mais une nécessité pour la bonne santé. Pour le corps féminin, qui subit ponctuellement des changements biologiques complexes, ce besoin est d’autant plus crucial pour réguler la température corporelle et maintenir une hygiène intime optimale.

Il convient donc de s’interroger sur les conséquences d’un manque d’eau sur la prise en charge de ces changements biologiques, comme ceux liés aux menstruations. L’hydratation, essentielle à la santé en général, l’est encore davantage en période menstruelle. En effet, elle aide à réguler la température corporelle, soutient le métabolisme et assure une bonne circulation sanguine. Ainsi, si, en tant que personne menstruée, vous ressentez des frissons ou des bouffées de chaleur dues aux fluctuations hormonales, la consommation d’eau pourra contribuer à réguler votre température interne et, par conséquent, à réduire l’inconfort, la fatigue et même les troubles du sommeil. Sans eau, vous risquez des carences (fer, magnésium…), des répercussions sur l’appétit, une aggravation des crampes menstruelles, des maux de tête, un risque accru d’anémie et de formation de caillots sanguins, pouvant rendre vos règles plus irrégulières ou abondantes. Le National Institute of Health (NIH) partage une étude parue en 2021 dans la revue BMC Women’s Health indiquant qu’une déshydratation modérée pendant les menstruations peut augmenter l’intensité des crampes abdominales. Ce résultat souligne l’extrême nécessité de maintenir une bonne hydratation durant cette période.

En outre, l’eau est également indispensable pour assurer une bonne hygiène menstruelle (lavage des mains, nettoyage des protections réutilisables, accès aux toilettes). Utilisée pour un nettoyage fréquent, elle permet d’éviter infections, irritations et mauvaises odeurs. ONU Femmes explique, dans un article explicatif publié en 2024, qu’à Madagascar, par exemple, les adolescentes et les femmes des zones urbaines sont plus susceptibles d’utiliser des serviettes hygiéniques que celles des zones rurales, qui se contentent souvent de chiffons. Or, en l’absence d’eau suffisante, ces chiffons ne sont pas correctement lavés et séchés, favorisant ainsi la prolifération de bactéries et de champignons, et augmentant le risque d’infections telles que la vaginose bactérienne ou les mycoses. Aujourd’hui, environ une personne sur quatre ne dispose toujours pas d’eau courante potable à domicile et deux sur cinq n’ont pas accès à des installations sanitaires sûres, ce qui signifie pour les filles et les femmes des difficultés à maintenir une hygiène menstruelle adéquate, avec des risques accrus de déséquilibres microbiens.

L’eau est donc un besoin fondamental pour une gestion menstruelle salubre et digne. En son absence, des conséquences bien plus dévastatrices que celles engendrées par la crise de l’eau se manifestent.

Une double peine genrée

« Deux poids, deux mesures. »
Dans le sud de Madagascar, la disponibilité en eau est critique, la région subissant les impacts majeurs du changement climatique. Les conséquences pour les populations sont multiples : insécurité alimentaire, maladies, mortalité, migrations forcées, etc. La crise de l’eau engendre une anxiété hydrique constante et bouleverse le quotidien des habitants.

Pour les personnes menstruées, c’est une double peine : elles sont les premières victimes, touchées de manière disproportionnée par le manque de solutions en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène. Le manque d’eau accroît les risques de complications médicales telles que les infections urinaires ou les déséquilibres hormonaux. La santé menstruelle ne se limite pas au bien-être physique ; elle englobe également les dimensions mentale et sociale. L’incapacité à accéder à l’eau pour se laver ou changer ses protections menstruelles peut engendrer un sentiment de honte. La directrice du département Environnement, Changement climatique et Santé de l’OMS, Dr Maria Neira, a déclaré que « les femmes et les filles ne sont pas seulement confrontées à des maladies infectieuses liées à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, telles que la diarrhée et les infections respiratoires aiguës, mais aussi à des risques supplémentaires parce qu’elles sont exposées au harcèlement, à la violence et aux accidents lorsqu’elles doivent sortir pour aller chercher de l’eau ou utiliser des sanitaires. »

Ce sentiment de ne pas être suffisamment propre, renforcé par la stigmatisation persistante des règles, peut pousser les personnes menstruées à rester cloîtrées pendant leur période, exacerbant leur isolement et leur stress émotionnel.

Entre solutions et inégalités persistantes

« Voyez-vous, dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. »
Près de la moitié de la population mondiale vit ses règles. Ce chiffre devrait constituer une motivation suffisante pour agir face aux effets de la crise de l’eau sur la santé menstruelle. Bien que plusieurs programmes aient été mis en place pour améliorer la gestion menstruelle, leur nombre et leur impact restent insuffisants face à l’ampleur du problème.

À l’échelle nationale, certaines initiatives ont émergé. Des actions de plaidoyer, de sensibilisation et d’éducation citoyenne sont menées par diverses ONG et institutions, qui militent pour que la gestion menstruelle soit reconnue comme un enjeu de santé publique et d’éducation. En 2024, par exemple, la Fondation AXIAN a lancé une initiative essentielle pour l’éducation des jeunes filles dans la capitale Antananarivo, en collaboration avec l’UNFPA, ASOS Madagascar et le réseau AfriYAN, en distribuant des kits menstruels dans cinq établissements scolaires primaires, dans le but d’améliorer l’hygiène menstruelle à Madagascar. Ce type de projet témoigne d’une prise de conscience progressive face à ces enjeux, ainsi que des efforts de plaidoyer de la société civile.

Cependant, ces tentatives se heurtent à des résistances culturelles fortes, limitant l’impact des initiatives éducatives. Le tabou des règles demeure un obstacle majeur aux progrès en matière de droits des femmes. Par ailleurs, l’accès aux infrastructures sanitaires sur l’ensemble du territoire reste inégal. Ainsi, les initiatives, bien que louables, ne répondent souvent qu’en surface aux problèmes, faute de ressources et d’un champ d’intervention suffisant. Par exemple, la distribution gratuite de kits menstruels, dont les effets ne sont que temporaires, ne garantit pas l’achat régulier de protections menstruelles, ce qui demeure un fardeau financier pour de nombreuses femmes et jeunes filles. Les solutions proposées ne sont donc pas toujours durables ni accessibles à toutes, et leur accueil par la population reste mitigé.

Pourtant, un espoir subsiste. Comme le rappelle l’adage, « dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. » Tant que tous les acteurs, y compris la jeunesse, prendront conscience de l’ampleur du problème et s’engageront à agir, des solutions efficaces et déterminantes pourront émerger. Qu’il s’agisse de réadapter des solutions existantes, de multiplier les efforts, d’intégrer cette thématique dans les politiques publiques ou de mener des actions continues, une évolution est envisageable si la problématique est placée au cœur des discussions.

Conclusion

La santé menstruelle sans accès à l’eau demeure presque une mission impossible. Dans les régions particulièrement touchées par cette crise, l’accès limité à l’eau compromet l’hygiène menstruelle et l’hydratation, exposant des milliers de personnes menstruées à des risques pour leur santé physique, mentale et sociale. Malgré les efforts déployés, les solutions actuelles restent insuffisantes pour résoudre ce problème. Le manque d’eau constitue ainsi un facteur aggravant des inégalités menstruelles et de genre, entravant l’exercice des droits des femmes sur plusieurs plans, que ce soit l’accès à l’éducation, à l’emploi ou la lutte contre les risques sanitaires. Face à cette injustice, la voix de ceux qui agissent peut sembler faible, mais, comme en témoigne l’exemple du village de Kirikou – où l’accès à l’eau est une denrée rare et où les femmes sont en première ligne face à ses conséquences – la détermination collective peut permettre de briser ce cercle vicieux. Car si Kirikou a pu faire face à ces défis, nous le pouvons aussi, à force d’engagement, d’efforts et d’actions concertées. Avec intelligence et innovation, et grâce à la mobilisation de tous les acteurs, il est possible de réinventer les solutions pour garantir à tous mais surtout à toutes l’accès à une gestion menstruelle digne et hygiénique.

La santé menstruelle ne doit plus être reléguée au second plan dans la crise de l’eau, puisqu’elle en est une conséquence directe. Elle doit être considérée comme une priorité de santé publique et de justice sociale, dans le cadre d’un combat solidaire intégrant la protection de l’environnement, des enfants, des femmes et de toutes les populations marginalisées, plus exposées aux conséquences de cette crise.

Notes de bas de page:

1 Film Pixar sorti en 2022

2 V. Schauberger

3Publié en 2021 ; https://www.cerin.org/breves-scientifiques/les-bienfaits-de-leau-sur-la-sante-humaine/

4 Publié en 2021 ; https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33509179/

5 Publié le 24 Mai 2024 ; https://tinyurl.com/ypb7bwxm

6 Publié le 6 Juillet 2023 ; https://tinyurl.com/3kn35ecc

7 Expression signifiant que deux choses analogues sont jugées avec partialité, selon une justice à la géométrie variable.

8 De Antoine de Saint-Exupéry

9 Projet Vonona ; https://www.fondation-axian.org/projet-vonona-semaine-de-sensibilisation-a-lhygiene- menstruelle-dans-5-epp-dantananarivo/

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